Des résidents âgés du Manoir Charles Dutaud, un immeuble de logements sociaux situé près du square Cabot dans le centre-ville de Montréal, tirent la sonnette d’alarme face à une situation qu’ils jugent intolérable. Dealers de drogue, squatteurs dans les corridors et sentiment d’insécurité grandissant : ces personnes vulnérables dénoncent l’inaction des autorités.
Une situation alarmante au cœur de Montréal
Depuis plusieurs mois, les occupants de cette résidence pour personnes à faible revenu vivent dans la crainte. Ana Devita, l’une des locataires, témoigne sans détour : « Il y a des trafiquants de drogue qui vivent dans l’immeuble. Des gens viennent acheter de la drogue jour et nuit. Ils squattent dans les corridors. On ne peut pas sortir, c’est dangereux. »
Les témoignages se multiplient. Plusieurs résidents affirment avoir été victimes d’intimidation, avec des menaces du type « les mouchards paient le prix ». Après 19 heures, sortir de son appartement devient périlleux. Même utiliser la buanderie commune relève du défi, les lieux étant occupés par des individus qui ont, selon les résidents, « pris le contrôle de tout l’édifice ».
Des appels à l’aide restés sans réponse
Malgré de nombreuses plaintes adressées à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), l’organisme responsable de la gestion de ces logements sociaux, les locataires estiment que leurs préoccupations ne sont pas prises au sérieux. « L’administration nous répète que si des visiteurs laissent entrer des gens, il n’y a rien qu’ils peuvent faire », déplore Ana Devita.
Les résidents ont demandé la présence d’un agent de sécurité 24 heures sur 24 à l’entrée de l’immeuble, mais l’OMHM invoque un manque de ressources financières. Cette impasse laisse des personnes âgées, souvent issues de communautés diverses, dans une situation précaire.
Intervention du Centre de recherche-action sur les relations raciales
Le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), organisme montréalais dédié à la lutte contre la discrimination, est monté au créneau. Son directeur exécutif, Fo Niemi, dénonce une situation qui « correspond à la définition juridique de maltraitance institutionnelle ». Le CRARR exige une enquête de la Commission des droits de la personne du Québec, du ministre de la Santé et de l’ombudsman de la ville.
Fo Niemi souligne que les résidents du Manoir Charles Dutaud proviennent de « milieux diversifiés — Noirs, Asiatiques, Latino-Américains ». Il insiste sur le fait que ces personnes méritent de vivre dans la sécurité et la dignité.
Des règles contraignantes qui ajoutent à la détresse
Outre les problèmes de sécurité, les locataires dénoncent également certaines pratiques de l’immeuble. Un système de carte prépayée de 100 $ par mois, inclus dans le loyer, permet d’acheter de la nourriture dans une épicerie située dans le bâtiment. Cependant, les résidents se plaignent de la qualité des produits, majoritairement surgelés, et de prix gonflés.
Pire encore, le règlement interdit aux locataires d’utiliser la carte d’un voisin, même pour aider une personne à mobilité réduite. « Mon voisin m’a demandé d’aller lui chercher quelque chose en bas. Je ne peux pas, l’administration ne veut pas que j’utilise sa carte », raconte John, un résident qui préfère taire son nom de famille.
L’OMHM et le SPVM répondent
Dans une déclaration transmise par courriel, Valérie Rhême, porte-parole de l’OMHM, reconnaît que « la situation au Manoir Charles Dutaud est préoccupante ». L’organisme affirme avoir mis en place plusieurs mesures de sécurité ces derniers mois et avoir accompagné les résidents dans la formation d’une association de locataires, officiellement créée le lundi précédent.
Du côté du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), la porte-parole Samantha Velandia indique que le poste 12 collabore étroitement avec l’administration du Manoir Charles Dutaud. Les patrouilles sont régulières et les policiers ont effectué du porte-à-porte plus tôt cette année pour recueillir les préoccupations des résidents.
Toutefois, le SPVM minimise la gravité de la situation : « À ce jour, les interventions policières sur place n’ont identifié aucun problème de sécurité majeur. Quelques incivilités ont été observées, mais rien qui indique une situation majeure de violence ou de criminalité. »
Une réalité difficile pour les personnes âgées vulnérables
Renelle Lavallée, qui réside au Manoir Charles Dutaud depuis quelques mois seulement, voudrait déménager après avoir surpris quelqu’un tentant de s’introduire dans son appartement. Malheureusement, les résidents de l’OMHM doivent demeurer dans leur logement pendant trois ans avant de pouvoir demander un transfert. « J’ai l’impression d’être piégée dans une cage », confie-t-elle.
Rosa Amelia Araos, qui habitait auparavant dans une coopérative à Outremont, a dû emménager au Manoir Charles Dutaud pour des raisons financières. Elle se dit choquée par ce qu’elle y vit. Une nuit, elle a appelé la police après avoir trouvé une personne inconsciente dans son corridor après minuit. On lui a d’abord dit de gérer la situation elle-même. Les policiers sont finalement arrivés deux heures plus tard, après qu’une ambulance ait déjà emmené la personne. « Je suis stupéfaite par ce que je vois ici. Nous nous plaignons, mais personne n’écoute. Nous sommes invisibles. »
Vers une amélioration du sentiment de sécurité en HLM?
La question de la sécurité dans les habitations à loyer modique (HLM) de Montréal n’est pas nouvelle. La Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec (FLHLMQ) souligne l’importance de mobiliser l’ensemble de la communauté pour instaurer un réel sentiment de sécurité. Au-delà des caméras et de la présence policière, ce sont les associations de locataires qui sont les mieux placées pour interpeller leur communauté et créer des liens avec les organismes et intervenants.
L’OMHM avait d’ailleurs organisé un forum sur la sécurité communautaire en HLM, réunissant locataires, élus, police, organismes communautaires et réseau de la santé. L’objectif : échanger sur les solutions et s’engager dans une instance montréalaise dédiée à la sécurité dans les HLM.
Conclusion
La situation au Manoir Charles Dutaud met en lumière les défis auxquels font face les personnes âgées à faible revenu vivant dans des logements sociaux montréalais. Entre sentiment d’abandon, insécurité quotidienne et règles contraignantes, ces résidents attendent des actions concrètes de la part des autorités. La création récente d’une association de locataires représente un premier pas, mais il reste à voir si les mesures annoncées permettront de rétablir la tranquillité et la dignité que ces personnes méritent.